jeudi 3 janvier 2008

Suicide

Travailler dans un club vidéo m'a permi de retrouver parmi mes clients quelques camarades du secondaire. Certains étaient au Cégep, d'autres sur le marché du travail ou encore à l'école pour adultes. Il y avait quelque chose de fascinant à pouvoir contempler concrètement des parcours de vie en train de se façonner. Certes, on pouvait s'imaginer sans peine le destin de la majorité des adolescents que nous fréquentions à l'école secondaire. Les revoir ne faisait que confirmer nos croyances.

Une soirée, un ancien collègue de classe m'informe de ses occupations ainsi que celles d'amis communs. Avant de quitter, il se retourne vers moi : « Ah ouais, j'oublais, tu te souviens de Berthier ? »

- Ouais, bien sûr !

- Ben il est plus là !

- Quoi ?

- Il est plus là, il a sauté du haut d'une fenêtre.

Je ne crois pas que personne ne pouvait détester Berthier. Il avait tout du bon gars : drôle, charismatique et porteur d'un rêve que l'on aimait partager avec lui. Il voulait devenir rapper professionnel et faisait ses premiers pas dans un milieu relativement fermé aux Blancs. Il avait de l'expérience de scène et contemplait la possibilité d'enregistrer un album avec ses amis. Il avait rencontré un producteur intéressé mais, vu le minuscule montant offert, il craignait de se faire escrocrer.

Les raisons derrières sa mort s'imaginaient sans peine : les choses ne s'étant pas déroulées comme prévues, il avait probablement préféré tout abandonner plutôt que de perséverer. Entre deux clients, j'ai eu une pensée pour cet ado qui, comme tant d'autres, comme moi d'ailleurs, rêvait de célébrité pour échapper à la médiocrité du quotidien.

Environ un an plus tard, je déambule dans les rues de mon quartier. Je viens de finir un shift de soir au club vidéo et me dirige chez une fille pour qui j'ai le béguin. Je m'arrête dans un dépanneur pour me procurer une boisson gazeuse et qui se trouve derrière la caisse, Berthier ! Il a énormément changé depuis la dernière fois où je l'ai vu. Il a pris énormément de poids, mais ce que je remarque immédiatement est son nouveau regard. La lumière d'espoir a disparu complètement de ses yeux pour être remplacé par un ennui assumé. Une chose me chicote quand même, qu'est-ce qu'il fait là à me vendre du fromage en crotte ? Ne devrait-il pas plutôt se trouver dans le cimetière situé, ironiquement, de l'autre côté de la rue ? Trop gêné pour demander quelques éclaircissements, je ne fais que le saluer poliment avant de quitter le petit commerce.

Dehors, les pensée se bousculent : il n'a peut-être fait qu'une tentative et a survécu, il doit travailler la nuit pour fuir ses démons, ce qui explique son tin déprimé, on s'est peut-être foutu de ma gueule aussi... Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai jamais eu de réponse à mes questions. Rien n'a réussi à effacer cette impression d'avoir passé quelques minutes en compagnie d'un fantôme.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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